Datée du 8 septembre 2023, signée par le maire de Ferney et adressée à la directrice de l’Education nationale de l’Ain (Académie de Lyon), avec copie à Gabriel Attal, alors ministre de l’Education, cette lettre relève quasiment du Secret Défense. La preuve : elle n’a été communiquée ni aux élus ferneysiens, ni aux enseignants, pourtant directement concernés. Elle porte sur l’enseignement de la langue arabe et pourrait se résumer ainsi : Langue arabe égale religion musulmane ; religion musulmane égale islam radical. A quoi on pourrait ajouter terrorisme puisque, dixit le maire, « la mouvance des frères Merah était présente à Ferney-Voltaire ». Fermez le ban et n’en jetez plus.
Tout ça pourquoi ? Pour tenter d’empêcher, à Ferney, l’enseignement de la langue arabe, pratiquée dans toute la France, depuis plusieurs années, « dans le cadre d’enseignements internationaux de langues étrangères (Eile), facultatifs et ouverts à tous les élèves volontaires, (…) à partir de la classe de CE1, à raison d’1 heure 30 chaque semaine ».
A quoi vise cette possibilité offerte aux enfants ? A leur permettre d’apprendre la langue de leurs parents, souvent immigrés, qui ne sont pas en mesure de la leur enseigner eux-mêmes. Cela vaut pour les langues, européennes ou non, et en particulier pour la langue arabe, parlée – mais pas toujours écrite – par les parents. Une façon de ne pas rompre le lien avec la culture originelle d’enfants scolarisés en français.
Certes, les enseignants n’appartiennent pas à l’Education nationale, déjà incapable d’assurer pleinement les matières obligatoires, et proviennent de différents pays, sur proposition des représentations diplomatiques. C’est le cas du Maroc et d’autres pays mais ces enseignants étrangers sont agréés et contrôlés par l’Education nationale. A quel rythme ? Pour les communes, la seule obligation consiste à mettre à disposition une classe en-dehors des horaires d’enseignement obligatoire.
Rares sont les maires à s’opposer aux E.I.L.E. mais « le maire divers droite de Marignane (Bouches-du-Rhône), Eric le Disses, qui avait parrainé Eric Zémour à la présidentielle de 2022, a refusé le principe de la dispense de cours d’arabe de deux heures environ par semaine dans les écoles de la commune. « Une question de principe », avait-il assuré, assurant que si la demande avait été faite pour l’enseignement du chinois, il aurait pris la même décision ». (La Gazette des Communes)
Voilà donc Ferney en bonne compagnie. Mais qu’est-ce qui a bien pu piquer Daniel Raphoz, alias « Ferney-sans-guide », à envoyer une telle bafouille ? De son propre aveu, il l’a signée, certes, mais à peine lue. La prose de ces quatre feuillets bien tassés est essentiellement due à la plume de son chef de cabinet d’alors, Emmanuel Vianès, qui a démissionné fin 2023.
Qu’il y ait un « malaise laïque » à Ferney, comme d’ailleurs dans toute la France, nul ne peut le nier. Porteuses de leur religion (ou de leur absence de religion), les communautés cohabitent sans vraiment se connaître. Faute de pouvoir amener tous les parents dans le champ de la laïcité, la République se doit d’accueillir leurs enfants afin qu’ils en rencontrent d’autres, qu’ils les reconnaissent et soient reconnus par eux. Belles paroles, parfois vaines. Faute de moyens et d’enseignants, l’école publique faillit trop souvent à son devoir et, du coup, ce sont plutôt des enfants de parents immigrés, incapables de les aider à domicile, qui pâtissent de l’absence de soutien dans leur école.
« L’école est prise d’assaut par la religion », écrit Vianès sous couvert de Raphoz. « Beaucoup de familles musulmanes déçues par l’Ecole Florian inscrivent leurs enfants à l’Ecole privée sous contrat Saint-Vincent », poursuit-il. Fuient-ils ainsi la mainmise intégriste censée menacée les enfants de l’Ecole publique, ou plutôt la désorganisation qui y règne ?
Vianès explique aussi « la stratégie d’entrisme salafo-frériste » (sic) par le rôle de diplomates de pays musulmans, en poste à Genève mais résidans souvent en France voisine, qui feraient la pluie et le beau temps à Ferney. Il y ajoute la proximité de la Mosquée de Genève, fréquentée par certains enfants ferneysiens venus y apprendre la langue arabe… et tout plein d’autres choses.
Le problème n’est pas nouveau mais il était particulièrement important à la fin des années 2000, alors que les enfants n’avaient pas d’autre moyen de s’initier à la langue de leurs parents. L’E.I.L.E. n’existait pas encore et, ironie de l’histoire, le maire d’alors, Georges Vianès, papa socialiste du petit Emmanuel, avait mis en place une ébauche d’enseignement de la langue arabe à l’intention des enfants ferneysiens issus de l’immigration, pour les dissuader de se rendre à la Grande Mosquée de Genève. Mais sans doute son fils n’en avait-il pas connaissance en rédigeant la lettre qu’il s’apprêtait à faire signer par son maire. Et pas par son père…
Nous joignons à notre enquête la lettre en question. A chacun de se poser les questions de son choix. Nous nous limiterons à en ajouter une seule : arrive-t-il souvent au maire de Ferney se signer des lettres qu’il n’a pas lues ?