Mon instituteur il m’a dit que je devais souhaiter une bonne année à tout le monde. Alors bonne année ! Voilà, comme ça, c’est fait. Mais je ne suis pas d’accord, parce que c’est pas vraiment une bonne année. C’est vraiment pas drôle d’être un enfant aujourd’hui.
D’abord, on m’a fait peur avant Noël que j’aurais pas de cadeau à cause de la crise. D’accord, c’était pas tout à fait cette année, mais c’est un peu pareil parce que les fêtes, c’est les fêtes, ça traverse les saisons, comme dit mon grand-père.? C’est un marrant, je vous en parlerai plus tard.
Heureusement, je crois que c’était une farce, et mon papa il aime bien faire des farces, parce que j’ai reçu des tas de cadeaux drôlement chouettes. Sauf ceux de ma grand-tata Alberte, qui m’offre toujours des trucs nuls. Mon pépé il me dit que c’est des cadeaux qu’elle a reçus de la part de Suisses (ils seraient trois) ou d’Atlas (je croyais que c’était un géant qui était déjà mort).
Mais c’est quand même pas une bonne année parce qu’on peut plus jouer dans la cour de récréation. Mon instit il veut pas, à cause de la neige et du verglas. Il y en a tellement que même les vieux, mais les vraiment très vieux comme mon pépé qui a plus de soixante ans, ils se rappellent plus avoir vu ça.
Même un copain de mon grand-père, qui s’appelle Roger Martin, qui est très vieux, l’a écrit dans un journal compliqué qui s’appelle le Ricochet. Moi j’aime bien quand Roger Martin il écrit parce qu’il est drôle et parce qu’il y a des tas de jeux de mots et des histoires marrantes, même si je comprends pas tout.
Nous, à l’école d’Arbère, on voulait mettre des copeaux de bois sur la glace mais le directeur de l’école il a refusé. Il nous a dit d’aller jouer avec les copains, pas avec les copeaux. Pourtant je vous jure qu’on a des tas de copeaux à l’école qui servent pas à grand-chose, vu qu’ils voulaient chauffer l’école avec du bois.
Hâche-Q-eux, qu’ils disent, moi je comprends pas très bien. Et comme c’est toujours en panne, on a froid et on ferait mieux de nous laisser sortir pour qu’on se réchauffe un peu à faire les imbéciles sur la glace, même si on peut pas mettre les copeaux dessus.
À la maison, ça va pas fort. Papa il est un peu nerveux à cause de son travail au casino et d’un cahier-décharge que le maire veut pas signer.
Le maire, mon papa l’aime pas beaucoup mais il dit qu’heureusement il n’est pas souvent là, que c’est un nul.?Je ne sais pas pourquoi il l’appelle le professeur Noctambus (1).
Mon papa il dit que le maire va partir et que ça sera pas une grande perte, mais qu’il aura quand même réussi à nous mettre dans la m… (là je peux pas utiliser le même mot que papa parce que je suis trop petit).
Si tout va mal, c’est à cause de la crise, qu’ils disent à la télé et au discours de vœux du maire. Mon papa il m’y a emmené mais je m’y suis vraiment ennuyé. Heureusement j’ai pu sortir sans qu’on me voie et je suis allé jouer dehors dans la neige. Il y en avait vraiment beaucoup sur la route de la piscine, près du port et du restaurant où on est allé manger après. Ils avaient oublié de déneiger et les dames avaient de la neige jusqu’aux genoux et dans leurs petits souliers. Je me suis bien amusé.
Mon papa dit que la chanson préférée du maire c’est Le jour où la pluie viendra. Moi je connais pas cette chanson ancienne mais je crois que mon papa dit ça parce qu’il pense que le maire attend la pluie pour faire fondre la glace dans les cours de récréation.
La crise, qu’il a dit le maire, c’est à cause de Reagan. C’était au début de son discours, juste avant que je m’éclipse. Aussi j’ai posé deux questions à mon papa : qui c’est Reagan et c’est quoi la crise ?
Papa m’a dit que Reagan était un président en Amérique qui jouait dans des films de cow-boys. J’aime bien l’Amérique surtout depuis qu’ils ont voté pour un noir sympa. Il est drôlement grand et ça doit être pour ça qu’on l’a surnommé Baraque.
Sur la crise papa a été moins clair. Il m’a parlé de l’effondrement des cours d’une bourse, et je lui ai demandé ce que ça voulait dire.
Là, il a pris l’exemple de mon copain Alkan. En fait c’est pas vraiment mon copain parce que je le trouve un peu bête et prétentieux.
Voilà l’histoire. Je vous la raconte moi-même parce que, si je répète ce qu’a dit mon papa, vous n’allez rien comprendre.
Ma tata Ghislaine travaille dans une usine à Fribourg qui fabrique les petits couvercles en alu qui ferment les tout petits pots de crème que ma maman elle prend quand elle boit son café avec ses copines.
Figurez-vous qu’un jour, patatras, ils avaient mis l’inscription à l’envers. Personne ne s’en est aperçu et ma tata Ghislaine m’a apporté tout le stock de couvercles ratés (elle appelle ça des opère-cul). Ça tenait dans une petite boîte mais il y en avait plus de mille.
Je ne savais pas très bien comment jouer avec ces couvercles. On peut même pas s’en servir pour imiter des pièces de monnaie parce que c’est trop fin. J’allais les jeter quand j’ai vu un truc à la télé sur les timbres. Il paraît que les collectionneurs recherchent les timbres qui ont des défauts et que ça peut valoir une fortune quand c’est mal imprimé par exemple.
Et Alkan (c’est pour ça que Papa a parlé de lui) fait collection des petits couvercles des tout petits pots de crème pour le café des mamans.
Alors moi je lui ai dit que j’avais un couvercle que lui n’avait pas et que personne n’avait (je lui ai pas dit que j’en avais beaucoup, bien sûr). Je lui ai parlé des timbres et il m’a aussitôt dit qu’il voulait me l’acheter. J’ai fait un peu la fine bouche pour faire monter les enchères, comme dit mon pépé.
Et j’ai fini par lâcher à cinq euros. C’est pas du racket parce qu’il était consentant et que ses parents ils ont de l’argent et ils ne payent pas d’impôts.
Alors mon papa m’a expliqué que si j’étais en bourse je pourrais me sentir riche puisque j’avais mille couvercles qui valaient chacun cinq euros.
J’ai dit chouette, puisque je suis riche je vais pouvoir m’acheter plusieurs consoles pour remplacer ma vieille Nintendo et puis un super micro pour remplacer le vieux PC de la maison et puis des tas de trucs chouettes dont j’ai vraiment envie.
Mais mon papa il m’a dit que j’aurais du mal à vendre un autre couvercle cinq euros, parce que les Alkan ne courent pas les rues. Et là, mon papa il a raison. Il m’a dit que tant que je ne voulais pas vendre, je restais riche sur le papier, mais que si je voulais vendre, tout allait s’effondrer (mon papa a dit que le cours allait s’effondrer si je voulais réaliser, mais moi je réalise pas bien ce que ça signifie).
Et là mon papa il m’a expliqué des tas de trucs sur les ventes à nu (à découvert qu’il dit) et des tas d’autres choses dont j’ai même pas retenu le nom. J’ai bien compris quand mon papa m’a expliqué, mais je pourrais pas tout répéter. D’ailleurs, ça serait beaucoup trop compliqué pour vous.
Le petit Nicolas