Au casino, il est périlleux de tout miser sur une couleur. Miser sur le Blanc, ce serait carrément suicidaire! Notre Vain Blanc a en effet tout du joueur compulsif, au point qu’il aurait dû figurer depuis longtemps sur la liste des interdits de casino. Que fait la police?
Accro du jeu comme de la politique, spécialiste du banco, le Vain Blanc joue l’argent du ménage divonnais sans vergogne ni retenue. Que sa petite famille n’ait plus, demain, de quoi rembourser ses dettes, il s’en contrefiche. Ce qui lui plaît, dans le jeu, ce n’est pas l’argent (qui ne lui appartient pas, d’ailleurs). C’est l’adrénaline.
L’eau de la Divonne rend-elle fou? C’est à se demander. Car l’ancêtre (en politique) de notre Vain Blanc était déjà tombé dedans. Marcel Anthonioz (alias Tonio-du-Lac) avait mis au point une martingale imparable, qui lui rapportait 15% de tout ce que perdaient les joueurs. A l’époque, je jeu était encore prohibé dans la Genève calviniste. Tout le bling-bling genevois et onusien se donnait rendez-vous à Divonne et y perdait, jusqu’à point d’heure, les millions volés aux pauvres du monde entier.
Tonio-du-Lac s’en mettait plein les fouilles en enrichissant sa petite maisonnée. Descendante d’humbles maraîchers et de pauvres ramasseurs de châtaignes, la famille divonnaise ne se sentait plus péter dans la soie. Rien n’était désormais trop beau pour elle: terrain de golf, grands hôtels, chasseurs en livrée, thermes à la Caracalla, piscine et plongeoirs, lac artificiel, avenues hausmaniennes…
Etienne, le rejeton de la famille, était né avec une cuiller de vermeil dans la bouche. Pour lui, le luxe était inné. D’ailleurs, lorsqu’il se promenait chez les manants de « son » pays de Gex, personne ne s’y trompait. Donneur d’ordres, dispensateur de conseils, accordeur de prébendes, son pouvoir était celui de sa fortune et sa fortune était celle du casino.
Jusqu’au jour où son copain, le coquin Partouche , se mit en tête de ne plus lui remettre la comptée habituelle. Chez les truands, ça se serait terminé à la kalachikov. Dans le beau monde des nouveaux riches, ça se joue au poker menteur. En ce moment même.
Entre Partouche et notre Vain Blanc, c’est désormais un combat à mort. Au petit matin (du 30 avril), l’un des deux se retrouvera raide sur le carreau. Lequel ?
Sous couleur de cacher son jeu, chacun multiplie grimaces et rodomontades, ébauche son plus beau sourire carnassier, laisse apparaître furtivement la figure d’un faux atout. Ni l’un ni l’autre n’abattra sans doute sa dernière carte avant l’heure fatidique: minuit. Tremblante d’inquiétude, la famille divonnaise retient son souffle derrière les volets clos.
Blanc détient quelques cartouches mais c’est Partouche qui tient Blanc.
Pour une fois, dans ce combat contre le pot de fer, c’est le Vain Banc qu’on tire dans le pot de terre. Il est quasiment tapis. Comptant sur ses gains pour rembourser ses dettes. Il n’a plus une seule plaque en réserve. Partouche, lui, peut flamber jusqu’au matin. S’il rate son coup, il fermera le casino de Divonne mais conservera tous les autres et, surtout, enverra un message sans ambigüité à tous les Blancs de France et de Navarre: « Touchez pas à mon grisby ! «
Pour notre Vain Blanc, même l’improbable victoire sera plus amère encore qu’une défaite puisqu’il aura mis le feu à la maison et ses habitants à la rue. Prendra-t-il ce risque ou acceptera-t-il, au dernier moment, la baisse de loyer que lui réclame son locataire casinotier? Dilemme cornélien. Le Vain Blanc ne veut pas perdre, ne sait pas perdre, n’a jamais appris à perdre.
Sera-t-il assez vaniteux et assez fou pour jouer Divonne à quitte ou double? Si c’était la maison de ses ancêtres, peut-être hésiterait-il à deux fois. Mais il n’est divonnais qu’en passant, comme ces préfets et directeurs de grands hôtels qui ne défont jamais complètement leurs valises. Après lui le déluge. Lorsque les huissiers viendront frapper à la porte de la mairie, il aura déjà filé, laissant la caisse vide et, sur la porte, un simple message: « Parti sans laisser d’adresse » !