L’automne de l’an de grâce 2 008 fut morne et morose, bien qu’émaillé de faits d’hiver qui déridèrent enfin les visages. Ainsi, à peine les vendanges menées à leur terme, les gazettes du royaume firent état d’une prochaine apparition du Roy Étienne auprès d’une belle princesse orientale prénommée Rachida. Une toile représentant le noble Roy Étienne devisant avec la Princesse était même reproduite dans ces gazettes.
En ces temps lointains, des alchimistes et des physiciens avaient inventé une sorte de procédé qui, par la magie des ondes, permettait de transmettre des images animées aux confins du royaume dans toutes les fermes et les chaumières. Un chroniqueur de génie de l’époque nommé André Ribaud baptisa cette invention du nom d’étrange lucarne, puisqu’elle permettait aux manants de regarder leurs princes évoluer à travers une lucarne, sans, bien sûr, pouvoir ni les toucher ni leur adresser la parole, ce qui aurait pu donner lieu à des privautés insupportables de la part des vilains.
Cette merveilleuse invention avait dévoilé de généreuses rotondités chez la princesse Rachida, qui montraient qu’elle attendait un heureux événement, sans qu’elle eût toutefois dévoilé le nom de l’auguste géniteur. La princesse n’étant pas de confession catholique, nul ne pouvait penser que la conception fût l’œuvre du Saint-Esprit.
Or donc les échotiers proches du Roy firent savoir à la ronde que le Roy Étienne accompagnerait la princesse Rachida à la demande de la gente dame. Date et heure étaient fixées, et la cérémonie devait avoir lieu le 16 vendémiaire, deux heures après le coucher du soleil.
Les gueux, enclins à croire aux contes des mille et une nuits que la belle princesse orientale suscitait, avaient le secret espoir que le nom du père serait dévoilé en cette soirée.
Personne ne s’attarda ce soir-là, qui aux champs, qui dans les échoppes ; tous s’agglutinèrent devant les étranges lucarnes pour y voir leur monarque, qui, sans être bien aimé, constituait tout comme la princesse un sujet de curiosité et d’interrogations.
Las, caché au beau milieu d’une inattendue multitude de princes, le Roy Étienne demeura invisible sur les étranges lucarnes. Les yeux les mieux exercés recensèrent une quarantaine de courtisans autour de la princesse.?Toujours disposé à la plaisanterie, le bon peuple prétendit qu’au miracle de l’immaculée conception s’était ajouté celui de la multiplication des princes.
Ce ne fut pas la seule déconvenue automnale que subit le Roy Étienne. Deux jours avant la fête de tous les saints, un vent de fronde se leva au sein des représentants du Tiers État lors de l’Assemblée de la Communauté de Royaumes du grand Pays gessien. Le Roy Étienne, qui avait toujours pour ambition de régner en monarque absolu sur ses pairs, avait tenté d’imposer par la force une nouvelle loi qui lui octroyait ainsi qu’à sa cour les pleins pouvoirs en maintes circonstances.
De mémoire de conseiller, ce fut une belle foire d’empoigne, et la magie du verbe dans laquelle le Roy Étienne excellait ne suffit pas à calmer le courroux des uns et des autres.
Un certain sieur Jacques-Antoine Duret, représentant d’un royaume dont le Roy Étienne n’avait pas coutume de se soucier, prit ainsi le flambeau de la fronde, qui, sans durer trente ans, mit en fièvre l’assemblée durant plusieurs heures. Il était du reste avéré que le Roy Étienne, qui brillait dans l’art de la palabre, laissait les conseillers discutailler aussi longtemps qu’il le fallait, pour qu’à la longue ils adhérassent à la volonté princière.
Dans les contre allées du pouvoir, d’aucuns insinuaient que le Roy Étienne avait pris de bien mauvaises habitudes en son royaume de Divonne, où il régnait en despote absolu et où ses courtisans s’étaient transformés en valets qui lui léchaient, prétendait-on, les chausses. Personne ne se serait permis de lui dispenser quelque conseil, que, du reste, il n’aurait pas entendu. Aussi le royaume de Divonne, jadis prospère, voyait le spectre de la faillite s’approcher à grand pas, les dépenses somptuaires du monarque ayant épuisé les caisses du royaume.
Ce que le Roy, en son orgueil à la mesure de ses prétentions, refusait d’admettre. Il avait même trouvé parade aux perfidies qui couraient de demeure en chaumière : c’était, déclarait-il à qui voulait l’entendre, les courtisans de l’ancien parlement qui étaient responsables de la somnolence dans laquelle languissait le royaume, qui allait retrouver la magnificence et les fastes d’antan.
Le bon peuple, qui constatait l’état d’abandon des voies et chemins, en était tout retourné, alors que les taxes, dîmes et gabelles progressaient inexorablement. Pour expliquer à ses sujets que la majoration des prélèvements royaux était de faible importance, le Roy avait pour habitude de comparer le renchérissement des taxes aux dépenses engendrées par l’acquisition de petits rouleaux d’herbe à Nicot que les manants avaient coutume de rouler entre leurs doigts gourds pour les porter à la bouche après y avoir bouté le feu à l’aide d’une braise. Ces petits rouleaux se consumaient ainsi lentement et les manants prenaient plaisir à exhaler quelques volutes de fumée.
Le Roy, moqueur, les haranguait en proclamant : ce que mes fermiers généraux lèveront en impôts supplémentaires ne représente guère par sujet que vingt et sept rouleaux d’herbe à Nicot !
Le bon peuple n’en croyait rien, sachant que le monarque était ignorant des arts mathématiques et en particulier de la science arithmétique qui permettait, en s’aidant des dix doigts des deux mains, de bien maîtriser ses recettes et ses dépenses. Goguenards, les manants, toujours prompts à se moquer, disaient du prince qui les gouvernait : « Heureusement qu’il est né Roy, car il n’aurait rien su faire de ses dix doigts ! »
Le Marquis de La Panosse