Tu te souviens, lecteur, de notre angoisse d’automne, dans l’attente désespérée d’une lettre de Marie-Paule. La police des moeurs l’avait-elle alpaguée ? Un micheton lui avait-il passé la bague au doigt? Ou ses maigres revenus ne lui permettaient-ils même plus de s’offrir un timbre ? Nous avons reçu, mais trop tard, cette missive d’été qui éclaire notre hiver…
La Rédaction
Mon Candide adoré,
J’en ai les sangs tout r ‘tournés et j’ai eu des pertes tout aussi blanches que les nuits que j’viens d’passer.
Tu n’as donc pas reçu ma dernière missive postée fin août afin de faciliter la mise en page de septembre. C’est d’autant plus inquiétant que je reste persuadée que ton courrier est surveillé, que ton téléphone est sur écoute. Tu ne reçois peut-être pas toutes les lettres qui te sont adressées et, lorsque tu téléphones, avec un peu d’oreille tu dois entendre le petit déclic qui annonce l’enregistrement. Quant au fax, c’est simple à connecter et dur à détecter.
La vieille pute que j ‘suis, avec les mauvaises fréquentations que j’entretiens, te parle en connaissance de cause, dans une région privilégiée à ce sujet.
Je joins à la présente le double des expéditions séparées à deux jours d’intervalle. C’est bien le diable si une au moins ne te parvient. Certaines parties du texte ne sont peut-être plus tout à fait d’actualité mais je n’ai pas le temps, au milieu de mes emmerdes, de les remanier:
Voilà, mon Candide adoré, où nous en sommes dans nos démocraties libérales tout autant qu’avancées. C’est tout juste si j’ai encore le droit de frétiller du cul dans ta camionnette et je ne peux même pas aller tapiner en Suisse où elles sont en carte. Si un de ces jours Charasse nous assujettit à la TVA, ça va devenir intenable.
En attendant, fais bien attention à toi, mets ton gilet pare-balles, n’oublie pas ton holster, rase les murs et attends-toi à des perquisitions chez toi.
Ta petite Marie-Paule qui ne t’abandonnera pas.
14 octobre 1991