C’est à n’y rien comprendre. Le déficit de la Sécurité sociale se creuse d’année en année. Il faut lever toutes sortes de nouveaux impôts pour tenter de boucher le trou de ce véritable tonneau des Danaïdes. Heureusement, dans cet univers impitoyable et ubuesque de la Franco-France, un petit coin de terre résistait encore. Une sorte de Babaorum nommé Pays de Gex. Dans un peu plus de six mois, les légions franco-françaises (et donc presque étrangères à ce petit peuple dont la vie est essentiellement tournée vers Genève et la Suisse) auront mis fin à cette insupportable exception…
Résultat, des milliers de frontaliers seront moins bien soignés, voire pas soignés du tout pour cause de pénurie de médecins français, et hospitalisée après de longues attentes dans des établissements hospitaliers obsolètes (Saint-Julien) ou très éloignés (Annecy) alors que d’excellents hôpitaux se trouvent à moins de 10 kilomètres (Genève, Meyrin).
La France s’entête. C’est son habitude. Sauf lorsque Leonarda parle en direct du Kosovo, que les Bretons envahissent les routes ou que les petits épargnants se révoltent…
Les patients du Pays de Gex étaient jusqu’ici assurés selon trois régimes :
– Fonctionnaires internationaux : dans le pays de leur choix et auprès de l’assurance de leur choix, leurs cotisations étant souvent payée par l’organisation internationale concernée.
– Frontaliers : à la Sécu française, à la Lamal suisse ou auprès d’assurances privées françaises (plus de 90% selon nos informations) dont l’offre concurrentielle, spécialement adaptée au régime frontalier, permettait généralement soins et hospitalisation en Suisse).
– Gessiens travaillant en France et obligatoirement assurés à la Sécu.
Jusqu’à présent, les deux premières catégories pouvaient majoritairement bénéficier de soins de proximité et de qualité en Suisse. Ils ne se préoccupaient guère de la troisième catégorie, celle des « pauvres » travailleurs français, obligatoirement soignés en France. Du coup, les Gessiens avaient dû mettre leur mouchoir sur le projet, lancé dans les années 1970, de création d’un véritable hôpital dans le Pays de Gex.
Depuis lors, la population gessienne a plus que doublé et dès le 1er juin prochain, si le gouvernement ne revient pas sur son coup de force, le nombre de patients gessiens assurés à la Sécu aura quasiment quadruplé en moins de quarante ans. Ne serait-il pas souhaitable, dans ces conditions, de se mobiliser pour la création d’un hôpital dans le Pays de Gex ? Ne serait-ce que pour creuser un peu plus le trou de la Sécu.
Faut pas rêver ! Ou plutôt si… Même lorsqu’elle édicte ses ukases cocardiers et jacobins (l’affaire de l’assurance des frontaliers en est un bon exemple), la France doit s’aligner sur les décisions européennes. Or, dans la plupart des pays européens, les assurances-maladie sont privées, même si elles cohabitent parfois avec un secteur public. De là à ce que l’Europe édicte un de ces jours une directive contraignante obligeant tous les pays membres à accepter des assurances-maladie privées sur l’ensemble du territoire européen, il n’y a qu’un pas. Les cranes d’oeufs de Bercy n’y croient pas ? Chiche !
Ce n’est pas en enjolivant la réalité que les Gessiens s’en sortiront. On croirait entendre Charrat quand on lit, sous ta plume, que l’assurance privée propose une « offre concurrentielle, spécialement adaptée au régime frontalier ». Contrairement à la bonne tradition de Candide, tu oublies d’ajouter « spécialement adaptée aux bien portants ». Je ne suis pas le seul à me souvenir du sourire condescendant de la représentante d’assurance, me faisant comprendre que je n’avais rien à faire dans sa clientèle. La cause de l’assurance privée serait parfaitement défendable – elle l’est ailleurs en Europe comme tu le dis à juste titre – à deux conditions: l’assurance DOIT accepter toute personne, indépendamment de ses antécédents. Et puis, le choix du privé est irréversible la vie durant, pour l’assurance comme pour son adhérent
Enfin, parmi les hôpitaux suisses proches du Pays de Gex tu cites Meyrin, faisant semblant qu’il s’agit d’un établissement accessible à tous. Sans dire que l’Hôpital de la Tour est une clinique privée, et à ce titre inaccessible à tout assuré « de base » suisse, donc à la plus grande partie de la population genevoise. Ce n’est pas en payant un simple supplément – comme pour une clinique française – que l’on accède au « privé » en Suisse.
Que nos systèmes – suisse et français, LAMal et Sécu, soient très loin de la perfection, c’est bien vrai. Mais en quel honneur le frontalier – contrairement à ses collègues suisses et ses voisins français – y échapperait ?